ISBN : 9782296544123

ÉLOGE DE LA FATIGUE ? HOMMES BLESSÉS DU FILM NOIR



La fascination pérenne exercée par le film noir (essentiellement
sur des spectateurs mâles, serai-je tenté de dire) tient à mes yeux non
seulement à sa séduction plastique et narrative, mais à la construction de
modèles masculins paradoxaux : antihéros, perdants pas même toujours
magnifiques, ou personnages positifs mais fatalistes, marqués par la
désillusion et un stoïcisme blasé, tous s’abandonnent presque
complaisamment à une atmosphère de cendriers pleins et de bouteilles
vides, de nuits blanches et de matins blêmes. La fatigue apparaît comme
leur état naturel, et pour eux, comme le suggère le titre Le Grand
Sommeil (du moins dans la méditation finale du roman de Chandler, en
forme de vanité), il n’est de repos qu’éternel. Paradoxe, donc, que cet
épuisement puisse nourrir une identification à de tels protagonistes –
qu’illustre le devenir-icône d’un Bogart ou d’un Mitchum – alors même
qu’il semble saper l’idéal viril du film d’action (au sens large du terme).
Il s’y joue donc selon moi sinon une crise, du moins une redéfinition de
la masculinité propre aux années quarante (où la virilité monolithique
s’exhibe sur un autre théâtre, celui du film de guerre, mais au prix d’une
exclusion du féminin), qu’il conviendra