JEUX TABOUS : LITTÉRATURES

Brigitte Galtier



nterdits, interdictions : comment ne pas penser d'abord à ceux qui tacitement
sous-tendent un colloque universitaire ? Et s'agissant des rapports entre
littératures et interdits, comment s'orienter dans la question, tant ils sont
nombreux ? En Occident, pas de Tables de la loi sans l'écriture qui les consigne et,
inversement, pas d'invention de la tragédie sans OEdipe ou Antigone, les héros
transgresseurs. A l'autre bout de l'histoire, au XXe siècle, les tabous sont devenus
l'objet de textes majeurs tandis qu'un écrivain qui avait lu Freud et Lévi-Strauss,
Georges Bataille, mettait au premier plan de la théorie littéraire leur transgression
comme définition même de l'art authentique.
Voilà un volet de la question, mais il en est un second : les interdictions
auxquelles la littérature s'est heurtée au cours de l'histoire : interdictions de
publier, de mettre en scène, de diffuser. Un mot de celui-là, avant de revenir à
l'autre, juste pour souligner que les interdictions faites aux écrivains - la censure
des pouvoirs, les auteurs embastillés ou leurs éditeurs traînés devant les tribunaux -
ont été bien mieux étudiés que l'interdit de lire.
Le lever fut pourtant le plus profond enjeu de la Réforme, par delà le débat
religieux. Le droit de lire seul, dans sa langue et par soi-même, sans l'imposition
d'un sens unique et autorisé, même le texte sacré de la Bible, fut le grand combat
ouvrant à l'esprit d'examen des Lumières. La comparution de Martin Luther en
1518 devant le représentant du Pape, le Cardinal Cajetan, où se confrontèrent deux
lectures divergentes d'une page de l'Evangile, reste emblématique du sens premier
du mot interdit en français : excommunication. Celle de Luther proscrivit avec lui
la liberté d'interpréter. La conquête de celle-ci reste, sur la planète, loin d'être
achevée : en France même j'en vois un épisode encore dans les années 1960 où
l'enjeu de la controverse suscitée par la Nouvelle Critique était au fond la
légitimité de la pluralité des interprétations.
* CER/FDP, Université de Cergy-Pontoise.
1 S. Freud, "L'intérêt de la psychanalyse" in Résultats, idées, problèmes, PUF T.1, p. 211.
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