LA JUSTICE SOCIALE EN SOCIOLOGIE

Sophie Devineau



es sociologues mobilisent régulièrement la question de la justice sociale à
travers leurs divers terrains d'enquête et lors des analyses qu'ils en font.
Ainsi, nombre de travaux empiriques réalisent des observations sur les
inégalités sociales dont l'étude et les interprétations engagent la légitimité de cette
question. Il ne s'agit donc pas d'un objet sociologique en soi mais d'une
axiomatique où l'exigence de justice sociale apparaît indissociable du cadre juridique
défini par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Pourtant, la référence
qui en est faite aujourd'hui semble nous éloigner de l'universalisme des origines, un
mouvement qui s'apparente beaucoup plus à ce que Jules Michelet relevait, dans son
étude de l'esprit de la déclaration des Droits de l'Homme la nuit du 4 août 1789,
comme pétition de droits en Angleterre, ou encore comme synthèse des principes
retenus par chacun des États en Amérique. L'aspiration des individus à plus de
justice qui anime la pluralité des demandes en droit des minorités ethniques, des
femmes, des enfants, et d'autres bien entendu, paraît donner quelque peu l'avantage
à un certain pragmatisme, là où la raison seule avait autorité pour imposer un
principe de justice sociale : "la raison, discutée par tout un siècle de philosophes,
de profonds penseurs, acceptée de tous les esprits et pénétrant dans les moeurs,
arrêtée enfin, formulée par les logiciens de l'Assemblée constituante… Il s'agissait
d'imposer comme autorité à la raison ce que la raison avait trouvé au fond du libre
examen." (Michelet, 1868, 284). L'essentiel est surtout que le citoyen institué par le
droit devient l'auteur d'une société solidaire : "Mais songez donc que, sans ce droit
de l'individu qui seul l'a constitué, l'homme n'était pas, n'agissait pas, donc ne
pouvait fraterniser." (Préface de 1847). Cependant, dès les débuts, la difficulté
politique à laquelle se trouvent confrontées les sociétés modernes réside dans la
garantie contre les "fausses solidarités". Ainsi en est-il du choix de l'élément
fédérateur de la cohésion sociale : le crédit accordé jusqu'ici au mérite comme
principe légitime de justification des inégalités sociales est fortement discuté et
compte parmi les préoccupations actuelles (Savidan, 2007).
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