REPRÉSENTATIONS DE LA TRANSGRESSION DANS LES LITTÉRATURES D'AFRIQUE SUBSAHARIENNE
Bernard Mouralis
a transgression est sans doute constitutive de toute littérature, mais, dans le
cas des littératures de l'Afrique subsaharienne, sa représentation apparaît
selon deux modalités qu'il convient de distinguer, au moins dans un
premier temps. D'un côté, la transgression de lois, d'usages et d'interdits à
l'intérieur de la société pré-coloniale ou d'une société considérée comme épargnée
par les atteintes de la colonisation, par exemple, dans l'espace rural. De l'autre, la
transgression, dans le cadre de la situation coloniale, de lois ou d'interdits édictés
par le colonisateur.
L'examen de ces deux aspects permettra probablement de faire apparaître un
certain nombre de différences entre ces deux types d'interdits et, par conséquent,
de leurs transgressions. On verra également que la transgression qui s'opère dans le
contexte colonial est parfois plus difficile à repérer qu'on ne peut le penser de
prime abord, dans la mesure où elle ne s'opère pas nécessairement de manière
frontale, puisqu'elle utilise les failles, les interstices ou les contradictions du
système de domination mis en place.
Au terme de l'exposé, on tentera de préciser si les littératures africaines
constituent un cas spécifique dans cette représentation de la transgression ou si, au
contraire, elles s'inscrivent dans un processus général que l'on retrouve dans
n'importe quelle littérature.
Sociétés réputées "homogènes" et transgression
Dès ses débuts, à la fin du XIXe siècle, l'anthropologie sociale a établi une
distinction entre deux types de sociétés : d'une part, celles que l'on pouvait
observer en Afrique, en Océanie, en Amérique et qui ont constitué l'objet principal
de l'ethnologie ; d'autre part, les sociétés industrielles étudiées principalement par
la sociologie. Ce partage des disciplines s'est imposé avec beaucoup de force dans
les pratiques scientifiques. On est en droit cependant de s'en étonner car il suscite
d'emblée trois remarques. On notera d'abord que les fondateurs de la science
sociale, en France du moins, Durkheim et Mauss, ont conduit des recherches
concernant ces deux types de société. Par ailleurs, il est frappant de constater que la
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